Un ancien abattoir au milieu des champs. Dans ce décor banal de l’est de l’Allemagne fleurit une activité qui l’est beaucoup moins: la plus grosse production de cannabis “indoor” en Europe.
Derrière des murs en béton fraichement rénovés, près de Dresde, la start-up allemande Demecan fait pousser depuis un an de la marijuana “made in Germany” dans un respect total de la loi.
Elle fait partie du club fermé des entreprises disposant d’une licence pour produire et commercialiser en Allemagne cet “or vert”, autorisé à des fins médicales depuis 2017.
En entrant dans le bâtiment, une forte odeur prend au nez, alors que des centaines de pousses de marijuana fleurissent dans plusieurs salles, sous une lumière jaune aveuglante.
“Nous aurions la possibilité de développer l’installation pour y cultiver du cannabis récréatif”, assure à l’AFP le directeur général de Demecan, Philipp Goebel.
La coalition allemande, menée par les sociaux-démocrates, a présenté récemment une feuille de route pour légaliser la consommation récréative du cannabis.
Si la loi est adoptée, et validée par la Commission européenne, tout adulte pourra acheter et posséder jusqu’à “20 à 30 grammes” destinés à sa consommation, grâce à un réseau contrôlé de magasins et producteurs, sur le territoire allemand.
Dans l’immense complexe de 120.000 mètres carrés, l’entreprise produit une tonne de cannabis par an. Mais l’installation n’est pas utilisée à pleine capacité.
Demecan pourrait “multiplier par dix” sa production à court terme pour répondre à la future demande, selon M. Goebel.
Une récolte est réalisée toutes les deux semaines. Charge aux salariés de détacher des longues tiges les fleurs de cannabis, avant qu’elles ne soient compactées, puis séchées.
“Ce job me plaît beaucoup, car il n’est pas comme les autres”, soutient à l’AFP Sven Sköries, 34 ans, une tige de marijuana en main, par ailleurs étudiant en horticulture.
Ici, pas de problème de recrutement pour occuper la centaine de postes, dans une région pourtant marquée par le vieillissement et le manque de main d’oeuvre. “C’est un produit tendance, qui suscite un fort intérêt”, assure M. Goebel.
“C’est une filière nouvelle, c’est intéressant pour moi”, confirme Jana Kleinschmidt, 25 ans, en découpant les fleurs de cannabis aux ciseaux.
Demecan livre aux pharmacies de petites boites, où sont entreposées les boules de cannabis séchées, destinées à être vapotées par les patients dans le but d’apaiser des douleurs.
L’entreprise dispose également d’une licence pour importer sur le marché allemand 20 tonnes de cannabis provenant du Canada.
“Nous fournissons 55% du marché allemand”, affirme M. Goebel, qui estime donc être en “pole position” en cas de légalisation.
Le cannabis récréatif pourrait atteindre un chiffre d’affaires de 4 milliards d’euros par an en Allemagne, selon une étude de l’université Heinrich-Heine de Düsseldorf.
Ces derniers mois, les levées de fonds se sont donc multipliées pour se préparer à ce coup d’envoi.
La start-up berlinoise Cantourage, productrice de médicaments à base de cannabis, a introduit mi-novembre 15% de son capital à la Bourse de Francfort.
Cansativa, la seule plateforme allemande de vente en ligne de cannabis thérapeutique a levé 15 millions de dollars (14,2 M EUR) en février… notamment auprès du rappeur américain Snoop Dogg.
Et la société berlinoise Sanity Group, un des leaders européen du CBD, a de son côté récolté fin septembre 37,6 millions de dollars (35,7 M EUR).
Pour l’Etat aussi, la légalisation sera une bonne affaire. Les chercheurs de l’université de Düsselorf évaluent à environ 4,7 milliards de dollars les gains pour les finances publiques du cannabis légalisé. Mais le projet conserve de nombreux adversaires en Allemagne.
Fin octobre, Klaus Reinhardt, président de la très écoutée association allemande des médecins, a dénoncé un projet “cynique”. “Il est choquant de légaliser une substance dont nous savons qu’elle (…) peut provoquer des dépendances et des troubles mentaux”, a-t-il déploré.
L’opposition conservatrice est elle aussi vent debout. Le ministre de la Santé bavarois Klaus Holetschek a qualifié l’initiative du gouvernement de “signal dangereux pour toute l’Europe”.
La filière, encore balbutiante, attend avec appétit la légalisation du cannabis récréatif, promis pour 2024 par le gouvernement d’Olaf Scholz, malgré les controverses.
La source : Sciences et avenir