- Le chef de file des Insoumis conteste l’étiquette d'”extrême gauche” attribuée à son parti, notamment par Gérald Darmanin.
- “L’extrême gauche existe en France”, mais “le programme politique que l’on porte n’est pas d’extrême gauche”, a assuré Manuel Bompard lundi.
- Pour TF1info, un historien spécialiste de la gauche décrypte cette notion.
Manuel Bompard en a assez. Ce lundi sur Public Sénat, le leader de La France insoumise a appelé la majorité, la droite et l’extrême droite à cesser de qualifier son mouvement “d’extrême gauche”. “La France insoumise n’est pas d’extrême gauche, il faut arrêter avec ce cirque”, a-t-il déclaré, visant plus particulièrement le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qui dimanche a dit refuser “céder au terrorisme intellectuel de l’extrême gauche qui consiste à renverser les valeurs : les casseurs deviendraient les agressés et les policiers les agresseurs”.
“L’extrême gauche ça existe en France, il y a des partis qui se revendiquent de l’extrême gauche”, a poursuivi le député des Bouches-du-Rhône, mais “le programme politique que l’on porte n’est pas un programme politique d’extrême gauche, qui a une définition”. Quelle est-elle ? Manuel Bompard a-t-il raison d’exclure LFI de l’extrême gauche ? TF1info a interrogé Philippe Buton, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Reims et auteur d’“Histoire du gauchisme : l’héritage de mai 68” (Perrin).
Si le terme d’extrême gauche ne peut pas s’appliquer à LFI, on peut comprendre que certains désignent le mouvement ainsi.”
Philippe Buton
Reconnaissant qu’il n’existe aucune définition “labellisée” de l’extrême gauche, celle de Philippe Buton est la suivante : “Si la gauche englobe les forces qui veulent transformer les choses en respectant la légalité, l’extrême gauche regroupe celles qui veulent transformer la société en respectant la légalité tout en assumant qu’un jour, il faudra ne pas la respecter. Elle est à distinguer de l’ultragauche, qui légitime que pour changer la société, il faut d’ores et déjà renoncer à la légalité”. L’historien confesse toutefois que cette définition n’est pas optimale, notamment parce qu’elle exclurait le Rassemblement national de l’extrême droite. Aussi, “même si le terme d’extrême gauche ne peut pas s’appliquer à LFI, on peut comprendre que certains désignent le mouvement ainsi”, estime Philippe Buton.
Pour quelles raisons ? “La France insoumise n’apparaît pas toujours respectueuse de la légalité”, explique-t-il, prenant pour exemples son comportement à l’Assemblée nationale et sa “complaisance vis-à-vis des violences”, notamment contre les forces de l’ordre. Aussi, “quand on réclame une VIe Constitution et qu’on n’est pas très clair sur le rôle de la rue dans la transformation politique, on entretient cette ambiguïté”, ajoute l’universitaire.
La France insoumise entretient en effet cette ambiguïté par son côté révolutionnaire. “La culture politique française est très spécifique puisqu’elle a en son cœur le tropisme révolutionnaire, un attachement quasi mythologique à la révolution qui va tout nettoyer, régler tous les problèmes. LFI s’ancre dans ce terreau culturel, ça lui procure sa force, même si elle n’a aucun intérêt à aller jusqu’au bout, car elle sait que dans un affrontement militaire avec l’Etat, elle ne serait pas gagnante”, explique Philippe Buton.
Symbolique révolutionnaire versus acceptation républicaine
Dans son programme économique aussi, La France insoumise entretient les ambiguïtés, selon l’historien. “À gauche, entre les trotskistes qui sont pour la propriété collective des moyens de production et l’expropriation capitaliste, et le Parti socialiste qui ne l’encourage pas du tout, LFI – comme le parti communiste – est dans une zone grise. A priori oui, elle prône le refus de la propriété privée des moyens de production, mais avec des ambiguïtés programmatiques”, avance-t-il.
Cette ambivalence se retrouve jusque sur les affiches de Jean-Luc Mélenchon pour la présidentielle, où il était “vêtu d’une cravate, mais rouge”. LFI entretient constamment ce “en même temps” pourtant cher à son principal opposant, “celle de la symbolique révolutionnaire, de la culture communiste ou gauchiste, mais dans une acceptation républicaine”. C’est celle-ci qui peut pousser des observateurs à classer LFI du côté de l’extrême gauche.
Aussi, Philippe Buton estime que Manuel Bompard “a raison de ne pas classer LFI à l’extrême gauche sur le plan formel”. “Mais sur celui de la réalité dans le fonctionnement de la vie politique française, il a tort”. “Si aujourd’hui, il y a des problèmes de pacification des relations sociales et politiques, de brutalisation de la scène socio-politique, LFI en porte une grande responsabilité”, juge-t-il, à cause du “comportement ambivalent” de ses membres.
Source: Tf1info