La loi a peu à peu évolué, pour permettre aujourd’hui la dissolution des groupes d’extrême gauche écolos. Une réponse bien frêle du gouvernement à la crise écologique et sociale, écrit l’auteur de cette tribune.
Clément Rouillier est maître de conférences en droit public, au Laboratoire interdisciplinaire de recherche en innovations sociétales de l’université Rennes 2.
La dissolution des Soulèvements de la Terre n’est que la dernière d’une longue série : depuis 2017, une vingtaine de dissolutions ont été prononcées, et le gouvernement actuel est le premier depuis quarante ans à utiliser cette procédure contre des groupes d’extrême gauche, la dernière en date remontant à 1982 avec la dissolution d’Action directe.
Cette procédure de dissolution est entrée dans l’arsenal du gouvernement avec la loi du 10 janvier 1936, adoptée en réaction à la manifestation fasciste du 6 février 1934. Dès son adoption, elle a été utilisée pour dissoudre certains groupes fascistes organisateurs de la manifestation et a servi à plusieurs reprises contre l’extrême droite.
Toutefois, la procédure de dissolution s’est rapidement révélée très perméable aux intérêts du pouvoir politique en place puisque, dès 1937, elle a été employée contre des partis et mouvements indépendantistes dans les colonies françaises — en Algérie, à Madagascar, au Cameroun ou encore en Indochine — et contre des groupes d’extrême gauche, tel que le Parti communiste, dissout en 1939, ainsi qu’une kyrielle de groupes d’extrême gauche en 1968.
L’indissociation de la procédure de dissolution avec le contexte politique est illustrée par le fait que les motifs de dissolution ont été régulièrement élargis depuis la loi du 10 janvier 1936. La loi a été modifiée : à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour permettre la dissolution de groupes collaborateurs, en 1972, pour cibler les groupes qui provoquent ou encouragent à la discrimination, à la violence ou à la haine ethnique, xénophobe, raciste ou religieuse, et, en 1986, pour viser les groupements liés au terrorisme.
Une procédure élargie pour cibler spécifiquement l’extrême gauche
Aujourd’hui inscrite à l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure, la procédure de dissolution a fait l’objet d’une dernière modification en 2021 par la loi Séparatisme. Cette loi étend désormais cette procédure aux groupes « qui provoquent des agissements violents contre les personnes et les biens ». L’ambition affichée par le gouvernement était explicite : lutter contre l’extrême gauche.
La dissolution des Soulèvements de la Terre n’est que la dernière d’une longue série : depuis 2017, une vingtaine de dissolutions ont été prononcées, et le gouvernement actuel est le premier depuis quarante ans à utiliser cette procédure contre des groupes d’extrême gauche, la dernière en date remontant à 1982 avec la dissolution d’Action directe.
Cette procédure de dissolution est entrée dans l’arsenal du gouvernement avec la loi du 10 janvier 1936, adoptée en réaction à la manifestation fasciste du 6 février 1934. Dès son adoption, elle a été utilisée pour dissoudre certains groupes fascistes organisateurs de la manifestation et a servi à plusieurs reprises contre l’extrême droite.
Toutefois, la procédure de dissolution s’est rapidement révélée très perméable aux intérêts du pouvoir politique en place puisque, dès 1937, elle a été employée contre des partis et mouvements indépendantistes dans les colonies françaises — en Algérie, à Madagascar, au Cameroun ou encore en Indochine — et contre des groupes d’extrême gauche, tel que le Parti communiste, dissout en 1939, ainsi qu’une kyrielle de groupes d’extrême gauche en 1968.
L’indissociation de la procédure de dissolution avec le contexte politique est illustrée par le fait que les motifs de dissolution ont été régulièrement élargis depuis la loi du 10 janvier 1936. La loi a été modifiée : à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour permettre la dissolution de groupes collaborateurs, en 1972, pour cibler les groupes qui provoquent ou encouragent à la discrimination, à la violence ou à la haine ethnique, xénophobe, raciste ou religieuse, et, en 1986, pour viser les groupements liés au terrorisme.
Une procédure élargie pour cibler spécifiquement l’extrême gauche
Aujourd’hui inscrite à l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure, la procédure de dissolution a fait l’objet d’une dernière modification en 2021 par la loi Séparatisme. Cette loi étend désormais cette procédure aux groupes « qui provoquent des agissements violents contre les personnes et les biens ». L’ambition affichée par le gouvernement était explicite : lutter contre l’extrême gauche.
Ainsi, dès les travaux préparatoires de la loi, l’extension des motifs de dissolution est justifiée par le souci de Gérald Darmanin de pouvoir dissoudre les « associations de type black blocs » [1]. Il faudra expliquer au gouvernement que l’on ne peut pas dissoudre une association ou un collectif qui n’existe pas : il n’y a pas de bureau ou d’amicale des black blocs puisqu’il ne s’agit que d’une tactique de manifestation [2]. Mais qu’importe l’incompétence du ministre, derrière la figure du black bloc, c’est bien la figure fantasmée et mal définie de l’« ultragauche » qui est ciblée par la loi.
Preuve que la réforme de 2021 cible l’extrême gauche, toutes les dissolutions de groupuscules d’extrême droite prononcées ces dix dernières années ont été justifiées par les anciens motifs de la procédure : organisation de manifestations armées (le Bastion social ou les Loups gris) ; groupes de combat ou milices privées (Troisième voie, les Jeunesses nationalistes révolutionnaires ou Génération identitaire) ; exaltation de la collaboration (L’Œuvre française ou Bordeaux nationalistes) ; incitation à la haine ou à la violence (les Zouaves, par exemple). En somme, fidèles aux traditions mortifères et nauséabondes de l’extrême droite et du fascisme, tous ces groupements se construisaient autour du racisme, du sexisme, de l’homophobie, de la xénophobie, et étaient précédés par le bruit des bottes.
Toutefois, la procédure présentait une difficulté pour le gouvernement actuel : aucun des motifs de dissolution prévus dans la loi ne permettait de dissoudre les collectifs d’extrême gauche. En effet, depuis les années 1990, l’abandon de la lutte armée révolutionnaire dans les pays occidentaux empêchait une dissolution de groupements de gauche fondée sur les anciens motifs.
De plus, leurs positionnements idéologiques sont à l’antipode de la promotion de la haine ou de la discrimination raciste, xénophobe, sexiste ou religieuse. Par conséquent, les motifs de dissolution étaient trop stricts pour englober les agissements des groupements d’extrême gauche actuels et, si le gouvernement souhaitait les dissoudre, il fallait donc modifier l’arsenal législatif.
« ACAB », « crever le capitalisme »…
C’est chose faite avec la loi Séparatisme : en permettant la dissolution des groupements qui « provoquent à des agissements violents contre les personnes et contre les biens », la loi abaisse l’intensité des violences justifiant une procédure de dissolution. C’est ce qui a permis d’engager la dissolution de la GALE (Groupe antifasciste Lyon et Environs) et du Bloc lorrain en 2022. Désormais, de simples dégradations matérielles ou des slogans révolutionnaires suffisent à engager une procédure de dissolution, de même que le simple fait de les relayer.
Ainsi, le gouvernement reprochait à la GALE de vanter des tags sur des locaux fascistes, d’écrire « ACAB », « Mort aux nazis » ou « Feu aux prisons » dans ses communiqués. Pour le Bloc lorrain, le gouvernement soulignait que ce dernier revendiquait sa participation à des manifestations durant lesquelles des dégâts matériels avaient été commis, qu’il informait les manifestants sur les vêtements et attitudes à adopter en manifestation, qu’en formant des street medics, il témoignait de l’intention d’en découdre dans les manifestations, qu’il relayait des vidéos d’affrontements avec les forces de l’ordre, tout en accompagnant ces publications de messages du type « [il faut] crever le capitalisme », « [adoptons] une attitude sauvage et insurrectionnaire » ou encore « ACAB ».
Le Conseil d’État a représenté un soutien inattendu de la GALE en suspendant le décret de dissolution. S’il a critiqué ouvertement le parti pris politique de la GALE, tout particulièrement son attitude très critique à l’égard de la police, le Conseil d’État a estimé que son positionnement politique devait être protégé et que l’on ne pouvait pas reprocher au collectif son mot d’ordre antifasciste et anticapitaliste, pas plus sa critique radicale de l’État et de ses institutions, notamment de la police.
Toutefois, la juridiction administrative a été moins clémente à l’égard du Bloc lorrain : elle a considéré que les communiqués répétés du groupement appelant à user de violence en manifestation à l’encontre de biens et des forces de l’ordre témoignaient d’une légitimation de la violence suffisante pour le dissoudre.
S’il existe de nombreux motifs fantaisistes dans le décret de dissolution des Soulèvements de la Terre (lire l’auteur et militant Andreas Malm, porter des lunettes de protection, mettre son téléphone en mode avion), le gouvernement a néanmoins centré ses arguments sur l’organisation de manifestations appelant et occasionnant des dégradations et des violences matérielles.
Cette tactique avait fonctionné contre le Bloc lorrain, bien que la dissolution de ce dernier ait aussi été largement construite autour de la provocation à des violences contre les forces de l’ordre (ce qui pas le cas des SLT). Il existe donc une relative incertitude juridique et il est certain qu’au fur et à mesure des dossiers le gouvernement affine ses arguments pour dissoudre les groupements d’extrême gauche.
Source: Reporterre