Alors que les quartiers dits « sensibles » s’enflamment après la mort de Nahel, Annie Fourcaut, historienne et spécialiste des banlieues, fait le bilan de l’action de l’État.
Des émeutes ont éclaté dans les quartiers populaires un peu partout en France depuis la mort de Nahel, un adolescent de 17 ans tué mardi par un policier lors d’un refus d’obtempérer à Nanterre, près de Paris. Annie Fourcaut est historienne et professeure à l’université Paris-Panthéon Sorbonne. Elle a notamment travaillé sur le développement des banlieues, les politiques publiques du logement et de la construction, et sur la politique de la ville. Pour Le Point, elle revient notamment sur ce que les politiques publiques ont mis en place ces dernières années dans les quartiers populaires.
Annie Fourcaut : Il y a une espèce de mécanisme français, qui fait qu’une bavure policière va entraîner des émeutes, qui elles-mêmes vont entraîner un déploiement policier. Ce mécanisme existe depuis les années 1990 avec les émeutes de Vaulx-en-Velin, et les différentes politiques successives n’ont jamais réussi à y mettre fin. Nous avons connu d’autres épisodes en 2005 et en 2007 et une nouvelle explosion vient d’éclater aujourd’hui.
C’est devenu un enchaînement auquel tout le monde s’attend. Après la mort de Nahel, tout le monde s’attendait à ce qu’il y ait des émeutes et elles ont eu lieu. Dans la tête des jeunes, tout casser et mettre le feu après une bavure policière, c’est normal, ça fait partie du répertoire d’action.
Est-ce lié, selon vous, à l’échec des politiques publiques dans les quartiers populaires ?
Je crois qu’il faut arrêter de parler d’échec des politiques publiques dans ces quartiers et revenir à un peu de raison. Le plan Borloo date de 2003. Nous avons injecté 40 milliards d’euros dans les quartiers. Nous avons rénové des quartiers entiers. Nous avons détruit les tours les plus problématiques, et les avons remplacées par de petits immeubles, de petits pavillons, résidentialisés, sécurisés, parce que les habitants qui souhaitent rester dans les quartiers veulent la paix.
Nanterre, que je connais, est en pleine rénovation urbaine. Il s’agit d’une rénovation urbaine intelligente, bien faite, qui redessine l’espace. Cela gêne les dealers. Ils étaient déjà très agités avant la mort de Nahel, parce que la rénovation modifie les points de deal. Il faut donc arrêter de dire que nous n’avons rien fait, que c’est un échec. Les politiques politiques peuvent traiter de l’urbanisme. Mais les politiques publiques ne peuvent pas tout. Quand la cellule familiale, l’école, les partis politiques s’effondrent ou tout le système qu’on avait auparavant disparaît, on ne peut pas tout attendre de l’État.
Les problématiques de ces quartiers ne se résument pas à la question urbaine. Qu’est-ce qui a été mis en place par ailleurs ?
Il y a eu d’énormes efforts pour les écoles. De l’argent a été mis dans les écoles REP, ZEP. Nous avons dédoublé les classes de CM1-CM2. En visite à Marseille, Emmanuel Macron est allé jusqu’à dire qu’il fallait scolariser les enfants dès deux ans dans les quartiers prioritaires. Cela veut dire que les familles sont tellement incapables d’élever leurs enfants qu’il faut les leur enlever dès deux ans. Nous aboutissons à une impasse des politiques publiques.
Le drame de ces quartiers, initialement, c’est la désindustrialisation. Ces quartiers logeaient des gens qui travaillaient dans les emplois industriels, et une vague de désindustrialisation a mis à peu près tout le monde au chômage. La politique d’Emmanuel Macron consiste à remettre tout le monde au travail, et il y parvient, d’une certaine façon.
N’empêche que subsiste une frange de plusieurs millions de jeunes qui ne sont ni à l’école, ni au chômage, ni en emploi et qui sont dans la nature. Qu’est-ce qu’ils font alors ? Ils dealent. Cette population, c’est très difficile de l’atteindre par le biais des politiques publiques.
Pensez-vous que les émeutes actuelles seront plus violentes que celles de 2005 ?
Nous sommes déjà dans une situation pire qu’en 2005, à mon avis. Sur l’échelle des violences urbaines de la commissaire de police Lucienne Bui Tron, nous sommes quasiment à l’échelon le plus élevé. J’observe par ailleurs un contexte permissif qu’il n’y avait pas en 2005. Personne, sauf une extrême gauche radicale mais qui était très minoritaire, ne justifiait à l’époque les émeutes. L’effondrement du système politique partisan que nous vivons aujourd’hui joue un rôle indirect. En 2005, il y avait encore quelques éléments de respect, des maires, des élus. Aujourd’hui, tout cela a disparu.
Source: Lepoint